Cuisine théologique
INGRÉDIENTS INDISPENSABLES A LA CONFECTION D’UN BON BLASPHÈME
D’abord une précaution : éliminer du plan de travail toute trace d’humour : ce composant transformerait le blasphème en simple geste théâtral. On pourra introduire de la dérision et même du mépris mais pas d’humour car il est indispensable que le blasphémateur, au moins lui, se prenne au sérieux pour que le blasphème garde son caractère d’agression.
Ensuite, une précision de vocabulaire : le sacrilège est une atteinte au sacré et le blasphème un sacrilège verbal. Mais la limite est floue : on parle aussi de geste blasphématoire. Par ailleurs quand le sacré est d’église on parle de blasphème et quand il est d’État on parle de profanation.
Recette :
Pour qu’il y ait blasphème ou sacrilège, il faut donc
du sacré : quelqu’un, quelque chose d’intouchable, une zone, une bulle infranchissable, dont la frontière circonscrit une forme d’extraterritorialité, un droit d’asile, une obligation de neutralité totale … bref un comportement tout autre parce qu’on se trouve sur le domaine d’un dieu, d’une force étrangère, d’un absolu. Le sacré est le terrain du blasphème. Où la frontière entre sacré et profane n’est pas entretenue – chez les protestants par exemple – le blasphème n’a aucun avenir.
Il faut ensuite un blasphémateur qui dit la chose inouïe, un profanateur qui fait le geste sacrilège : un journal satirique et ses caricatures par exemple, un saltimbanque qui tient des propos antisémites …
Mais, à elle seule, la jonction de ces deux éléments ne produit pas plus de sacrilège qu’un pétard mouillé n’ébranle une bastille. Pour qu’il y ait blasphème, pour que se répande la sainte consternation, il manque encore un personnage irremplaçable :
le témoin choqué. En lui l’image sacrée est agressée ; sans lui, l’univers qui entoure le territoire sacré n’est pas profane, donc ne présente pas avec l’objet saint ce caractère d’incompatibilité qui fait l’impact des grandes profanations. L’intensité avec laquelle ce témoin réagit n’est pas liée à la profondeur de ses convictions mais à leur rigidité.
il y a lieu de remarquer qu’on ne trouve pas toujours 3 protagonistes sur le terrain. Mais un même acteur peut jouer les 3 rôles. Je peux, par exemple, dans un moment de crise blasphémer ma propre foi…
Cuisine évangélique du sacrilège et du blasphème :
* le corps humain est la seule terre sainte et le véritable temple de l’Esprit (Jean2/18-21). Tous les hommes sont sacrés nous n’avons de revendication sur aucun autre lieu saint. (cf aussi condamnation des images saintes Ex20/4-5).
* le décalogue désigne comme blasphématoires la plupart des discours sur Dieu : « Tu ne prendras pas le nom du Seigneur ton Dieu en vain » (Exode 20/7).
* Jésus juge tout blasphème pardonnable à l’exception du « blasphème contre le Saint Esprit » (Marc3/29, Mt 12/31, Lc 12/10) qui consiste à criminaliser la fraternité : attribuer les guérisons de Jésus à une puissance diabolique, interdire au nom de Dieu, de porter secours au blessé ou à l’étranger…
* « Que votre oui soit oui, que votre non soit non » (Matthieu5/37). La simple franchise est le plus sûr moyen d’honorer Dieu et de ne pas prendre son nom en vain.
C’est donc le mensonge en parole et la violence corporelle qui constituent les deux faces du sacrilège et le fond du blasphème devant Dieu. Telle est la recette évangélique.
*Jésus a été condamné à mort pour blasphème. Selon l’autre recette (Marc 14/63-64, Luc 22/71).
Le droit au blasphème :
Le « droit au blasphème » dont les médias nous rebattent les oreilles a la même portée que le droit à la bêtise. Ce qui atteste la démocratie c’est l’absence de délit de blasphème dans notre Code Pénal.
Alors pourquoi, de jour en jour depuis le 7 janvier 2015 et de plus en plus après les nouveaux crimes « islamofascistes » l’expression « droit au blasphème » est-elle en train de supplanter « liberté d’expression »? Parce que c’est la seule manière dont le laïcisme borné comprend et récupère le thème de la liberté : l’idée qu’en matière de religion toutes les convictions ont le droit de s’exprimer car la république n’en privilégie aucune devient : on a le droit d’insulter la religion. Et ce glissement fait des caricaturistes assassinés les champions de l’insulte alors qu’ils n’ont jamais défendu leurs oeuvres au nom d’un quelconque droit d’insulter mais en affirmant que leurs caricatures n’étaient pas des blasphèmes.
Jean-Pierre MOLINA