Dieu et César, quelles paroles des Églises dans l’espace public ?
Des défis à relever en perspective protestante
Michel BERTRAND
Belfort le mercredi 5 novembre 2014
Le pluriel du mot paroles et du mot Églises figurant dans le titre, souligne d’emblée l’ouverture de notre rencontre à une dimension œcuménique et même interreligieuse. Même si mon propos s’enracine dans la tradition théologique des Églises luthériennes et réformées, nous ferons sans doute le constat que les questions évoquées ce soir se posent de manière assez analogue dans nos diverses confessions chrétiennes ou religions, tout en repérant aussi des différences.
En guise d’introduction, je fais cinq remarques.
1. La première pour souligner que cette expression publique de l’Église est une des modalités de sa mission qui consiste à annoncer au monde la Parole de Dieu. On pourrait convoquer ici de nombreux textes. La finale de Matthieu : « Allez de toutes les nations, faites des disciples » (Mt 28, 19) ou encore les mots de Paul : « Comment croiraient-ils en lui, sans l’avoir entendu ? Et comment l’entendraient-ils si personne ne le proclame ? » (Rm 10, 17). Je pense aussi à ces passages des Actes des Apôtres où l’on voit les premiers témoins porter l’Évangile dans les lieux les plus divers et parfois les plus improbables : sur des places publiques, en pleine nature, dans des maisons particulières, au temple, dans les synagogues et jusque dans les tribunaux ou les résidences des puissants de ce monde.
2. Il y a bien des manières pour les Églises de se faire entendre dans l’espace public. Elles le font d’abord à travers leur vie communautaire, notamment leurs célébrations dans leurs diverses formes, la messe, le culte, leurs liturgies et leurs sacrements, qui constituent le premier service public qu’elles sont appelées à rendre au monde. Elles témoignent aussi à travers leur diaconie, leurs œuvres caritatives où s’atteste la crédibilité de la Parole et son incarnation dans l’histoire au service des plus pauvres. Leur message public passe enfin, de manière plus discrète mais non moins réelle et décisive, grâce au témoignage personnel de leurs fidèles et leurs engagements de tous les jours. Je vais centrer plus particulièrement mon propos ce soir sur une autre modalité de la parole des Églises dans l’espace public. À savoir lorsqu’elles interviennent par la voix de leurs « autorités » (prêtres, pasteurs, présidents, évêques) à travers des déclarations publiques au plan local, régional ou national.
3. Ces déclarations, susceptibles de représenter le point de vue de la communauté ecclésiale ou perçues comme telles, peuvent susciter en son sein (ses fidèles), comme dans la société (les pouvoirs publics, les citoyens), des avis contrastés. Certains pensent qu’il est normal, souhaitable voire nécessaire que les Églises s’engagent ainsi dans la vie publique en prenant part à ses débats. D’autres, au contraire, contestent la légitimité de toute intervention des responsables ecclésiaux dans le champ temporel, considérant que les Églises doivent s’en tenir à leur mission spécifique qui est d’ordre spirituel. Enfin il y a ceux qui pensent que les Églises devraient, d’une manière générale, se taire ou rester discrètes dans l’espace public et ne prendre position que face à des situations extrêmes, quand la vie des personnes ou du monde est gravement menacée.
4. Toutefois, la question n’est pas nouvelle. Elle s’est même posée dans des situations dont on peut penser, avec le recul, qu’elles appelaient pourtant, de manière évidente, une prise de position. Ainsi lorsque le 26 mars 1941 le pasteur Marc Boegner exprime au Grand rabbin Schwarz, à la demande et au nom du Conseil national de l’Église réformée de France, son indignation et sa solidarité face à l’introduction en France d’une législation raciste (Premier statut des Juifs du 3 octobre 1940), sa lettre, largement diffusée, suscita des réactions diverses au sein du protestantisme. Certains trouvèrent qu’il sortait de son rôle et d’autres, qu’il n’allait pas assez loin.
Depuis lors, dans des situations moins tragiques, des textes et déclarations, émanant des « autorités » des Églises protestantes, ont suscité régulièrement, de la part de leurs membres ou de citoyens ou de responsables politiques, de vives réactions. On peut penser au célèbre document de la Fédération protestante de France Église et pouvoirs ou à certains vœux des synodes concernant notamment les questions liées à l’immigration. Les exemples ne manqueraient pas non plus du côté catholique. On se souvient de la prise de position de Mgr Riobé contre les essais nucléaires de la France dans le Pacifique qui lui avait attiré la réplique restée célèbre de l’Amiral de Joybert : « Halte-là, messieurs de la prêtrise ! Voulez-vous, s’il vous plaît, vous mêler de vos oignons ! » Ou encore, plus récemment les controverses et débats suscités par certaines prises de position des Églises et des autres religions au sujet du mariage pour tous ou de la fin de vie.
5. On pourrait ne pas s’inquiéter, ni se préoccuper des réactions ainsi suscitées. Elles sont le signe que les Églises ont pris le risque de paroles publiques qui peuvent déranger mais qui ne laissent pas indifférents, ni au sein de la communauté ecclésiale, ni dans la société. Le théologien protestant Dietrich Bonhoeffer pendu par les nazis en 1945 pour fait de résistance écrivait « Il nous faut même risquer de dire des choses contestables pourvu que les questions vitales soient soulevées » [1].
On doit toutefois reconnaître qu’il y a un vrai problème lorsque ces réactions se répètent, quand elles sont démesurées, témoignant d’un désarroi, d’une blessure, parfois même d’un scandale ressenti, et finalement lorsqu’elles débouchent sur un refus d’entendre, un rejet du dialogue ou du débat, une fin de non-recevoir qui sont à l’opposé du but généralement recherché. Cela peut aussi entraîner du côté des autorités des Églises, et c’est également grave, des formes d’autocensure. Elles se réduisent alors elles-mêmes au silence, par crainte des remous ou des divisions. Or se taire, ne rien dire, c’est encore communiquer (cf. les travaux de l’Ecole de Palo Alto). Chacun sait bien qu’il est des silences qui en disent long !
Il importe donc de s’interroger sur les raisons pour lesquelles ces paroles publiques des Églises semblent toujours problématiques. J’envisage ainsi trois défis. J’aime bien ce mot défi qui figure dans le sous-titre, car il a un double versant. Il dit à la fois un obstacle, une difficulté effective et en même temps un dépassement, une ouverture possibles.
1. Le défi du rapport au politique
Une des craintes souvent exprimée, notamment parmi les fidèles des Églises, est que la parole publique de leurs « autorités » les amène à intervenir dans le champ politique, terrain particulièrement sensible et passionnel, propice aux jugements, aux exclusives et considéré comme ferment de division de la communauté. Ce qui est redouté c’est le « parti pris » éventuel de telles paroles, leur caractère unilatéral, voire militant. Il est alors reproché aux responsables des Églises de se mêler de ce qui ne les regarde pas, de se faire instrumentaliser de manière partisane dans un jeu de rapports de force, d’entrer dans des logiques de pouvoir, au lieu de se consacrer à leur mission spécifique d’annonce de l’Évangile. Il ne faut pas sous-estimer ces craintes, ni les considérer comme illégitimes. Pour autant, les Églises doivent-elles se contraindre au silence et leur témoignage peut-il d’ailleurs échapper à la dimension politique ? Enraciné dans ma propre tradition, je considère qu’il ne devrait y avoir ni séparation absolue, ni totale confusion entre les domaines spirituel et temporel. Il convient plutôt de toujours les distinguer et les articuler sur le mode d’une tension. Tension parfois douloureuse à assumer, mais qui ne saurait exonérer les chrétiens, ni les Églises, de leurs responsabilités dans la société.
Les Écritures bibliques sont déjà traversées de deux courants, apparemment contradictoires, quant au rapport au pouvoir politique.
– D’abord celui de la méfiance et donc de la vigilance à son égard. La foi, en effet, libère le croyant de toute forme d’absolutisation des instances du monde et cela lui permet de « rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mc 12, 17), ce qui indique précisément que César n’est pas dieu. Alors quand le pouvoir se fait dieu, quand les humains ont tendance à le surévaluer ou le sacraliser, on trouve toujours dans la Bible une parole théologique qui en interroge la légitimité. On peut par exemple penser à la tradition prophétique de l’Ancien Testament. Ou encore à la parole des Actes, « il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (5, 29).
– Mais il y a aussi dans la Bible une reconnaissance de la légitimité des autorités humaines, appelant de la part de chacun respect et obéissance. C’est pourquoi, écrit Paul aux Romains, « que tout homme soit soumis aux autorités qui exercent le pouvoir, car il n’y a d’autorité que par Dieu et celles qui existent sont établies par lui… » (13, 1-7). La première épître à Timothée ajoute même à l’idée de respect celle de la prière pour les autorités, afin qu’elles remplissent bien leur tâche qui est de permettre aux hommes, et naturellement aux chrétiens, de mener « une vie calme et paisible en toute piété et dignité. » (2, 1-2)
– D’autres textes montreraient que de toute façon, ni les croyants, ni les Églises, ne peuvent échapper au « politique », au sens large et étymologique. Parce que la foi chrétienne est foi en un Dieu qui, en Jésus-Christ, s’est incarné dans l’histoire, elle concerne l’être humain dans toutes ses dimensions. L’irruption de l’Évangile dans des vies personnelles, l’événement de la foi ou du salut a forcément des conséquences dans le domaine public et même des effets politiques. [2] La position qui consisterait à réduire la foi à une affaire « privée » n’est donc pas tenable.
Les Réformateurs reformuleront cette tension dans la « doctrine des deux règnes » que l’on trouve chez Luther [3] et chez Calvin [4]. On peut résumer schématiquement ainsi leur pensée. Le chrétien, parce qu’il est sous le règne du Christ, ne devrait pas avoir besoin de règles pour faire le bien et aimer son prochain. Toutefois, le croyant participe aussi du règne du monde. Il a besoin comme tous les humains des règles de la société et des autorités civiles qu’il respecte, dans la mesure où elles permettent de vivre dans la justice et la paix. Il ne faut pourtant pas confondre les deux règnes, le spirituel et le temporel. Cette non confusion garantit la liberté du croyant et l’autonomie du politique. Le pouvoir temporel ne doit pas s’ingérer dans le domaine spirituel ni contraindre les consciences. Inversement, le pouvoir spirituel ne doit pas chercher à imposer au monde une quelconque solution chrétienne, c’est-à-dire vouloir dominer l’ordre temporel au nom de l’Évangile, car ce serait en faire une loi.
On formule aujourd’hui cette tension dialectique entre les domaines temporel et spirituel à travers la notion de double citoyenneté.
– Le chrétien est citoyen de ce monde qu’il est appelé à construire. Du fait de cette citoyenneté séculière, il se sait responsable de l’espace public, de sa définition, de son aménagement, de son maintien. Les Églises ont donc à accompagner ceux de leurs membres qui ont choisi cet engagement au service de la communauté humaine et à encourager les politiques dans leur mission de façon constructive, leur en rappeler l’importance et la noblesse, prier pour eux, les interpeller. Le protestantisme considère toutefois que l’Église n’a pas de leçons à donner aux responsables politiques, ni de programmes à leur offrir clés en main. On pointe ici une différence ou une nuance avec le catholicisme qui a une « doctrine sociale de l’Église » constituée et formulée, alors que le protestantisme n’en a pas. Néanmoins, comme l’affirme un document œcuménique, il existe aujourd’hui entre nos Églises « un consensus sur le caractère positif et irremplaçable de la régulation politique des sociétés humaines : le pouvoir politique n’est pas une expression maléfique, mais une médiation nécessaire et conforme à la volonté de Dieu (voir Romains 13). » [5]
– Mais si le chrétien est citoyen de ce monde, il est aussi et fondamentalement citoyen du Royaume. Cette citoyenneté spirituelle le rend libre à l’égard des réalités politiques dont il sait qu’il ne peut tout attendre. C’est pourquoi il est légitime que les chrétiens et les Églises manifestent une distance à l’égard de toute forme de politisation du message chrétien. Par exemple lorsque les déclarations de leurs autorités risquent d’être reçues comme un pur et simple alignement sur des positions idéologiques ou politiques partisanes.
Par contre, parce que le politique n’est jamais vraiment juste, il ne peut être livré à lui-même sans instance critique. Donc, tout en respectant son autonomie, les chrétiens et les Églises s’efforceront toujours d’introduire du débat, du « jeu », des questions, dans la vie sociale pour empêcher le politique de se replier sur lui-même comme un absolu incontestable. C’est pourquoi la loyauté des chrétiens et des Églises est une « loyauté critique », pour reprendre l’expression d’un synode protestant. Cette critique n’a rien de déloyal, même si certains politiques l’insinuent parfois, lorsqu’ils sont excédés par les interpellations. Il s’agit ici, au nom de l’Évangile, d’alerter et de manifester en paroles et en actes une forme de vigilance et parfois de résistance lorsque les inévitables écarts entre le droit et ses applications deviennent intolérables et suscitent des injustices criantes. L’Église a ici un rôle de « sentinelle ».
2. Le défi de la laïcité
Cette position à l’égard du politique permet de comprendre pourquoi les protestants sont attachés à la laïcité de l’espace public. Ce terme de laïcité désigne, de manière générale, la fin du pouvoir des religions sur les individus et sur la société, l’avènement d’un espace public autonome, organisé selon les seules logiques séculières.
2.1 L’attachement des protestants à la laïcité
Les protestants ont été pour leur part dans l’ensemble favorable à la laïcité dont ils ont même été les artisans. Pour deux raisons. D’abord pour une raison historique. Pour eux, face à un catholicisme hégémonique sur la société, elle a été la promotion d’une liberté : liberté de conscience et liberté de culte et par conséquent facteur de reconnaissance et d’intégration dans la société civile. Ce n’est donc pas un hasard si bien des protestants ont été au 19ème siècle des acteurs de la République laïque autour de Jules Ferry (F. Buisson, J. Steeg, F. Pécaut) et s’ils furent, en 1905, parmi les promoteurs de la Loi de Séparation des Églises et de l’État (Eugène Réveillaud, Louis Méjan). Toutefois la laïcité correspond aussi à une conviction théologique. On peut dire, en effet, que la Bible, telle que les protestants la lisent et la comprennent, a été dans la culture occidentale, une des sources du grand mouvement de laïcisation que représente la modernité, caractérisé par une désacralisation de l’univers en rupture avec les diverses formes de sacralisations religieuses (cf. Gn 1 et 2). Désormais seul Dieu est sacré, seul Dieu est Saint et il se révèle dans sa seule Parole. Chacun est appelé à répondre, mais les réponses données dans la foi ne sauraient s’imposer à tous. Ainsi, pour le protestantisme, on ne peut tirer de la Bible aucun savoir universel, dans le domaine social, culturel, scientifique, politique. L’Église ne peut prétendre avoir légitimité ou compétence pour se poser en autorité morale ultime. Le protestantisme considère que le monde est émancipé des tutelles religieuses.
Regardant l’histoire passée et présente, on mesure à quel point la laïcité constitue un acquis décisif face à toutes les formes de domination des religions. Elle protège la société des fanatismes et des intolérances de tous ordres dès lors qu’ils posent et imposent des vérités comme absolues (ab solus : à partir de soi seul), des vérités à majuscule qui ne sont pas forcément religieuses (Progrès, Raison, Parti et même Laïcité quand elle devient une idéologie sectaire). On voit bien que cette distinction entre le religieux et le politique doit être sans cesse rappelée et reconquise pour éviter tout risque de confusion.
2.2 La laïcité interrogée
En France, pour des raisons historiques, la laïcité s’est constituée de manière spécifique, particulièrement conflictuelle avec le catholicisme de l’époque. Elle est, du coup, souvent considérée comme anticléricale et antireligieuse. Elle est en tout cas fréquemment invoquée aujourd’hui par certains pour refuser une expression des religions dans l’espace public, considérant que la foi est d’ordre personnel et doit demeurer dans le strict domaine privé. Or une telle position est pour le moins discutable et doit être discutée.
– D’un point de vue juridique d’abord. L’étude des textes fondateurs de la laïcité en France, notamment la Loi de Séparation des Églises et de l’État de 1905, montre qu’elle n’est pas une loi de privatisation de la religion. Elle exprime les conditions juridiques de la liberté de conscience et de la liberté d’exercice public des cultes qu’elle garantit, sous les « seules restrictions édictées […] dans l’intérêt de l’ordre public » (article 1er).
– Mais c’est aussi d’un point de vue théologique, que le croyant interroge une mise en œuvre restrictive de la laïcité. Si elle implique de reconnaître un espace laïque du monde, construisant sa propre cohérence sur des fondements non évangéliques, on ne doit pas pour autant confiner l’identité chrétienne à certains domaines, à certains moments ou aspects de l’existence ou à la seule sphère privée. La Parole que Dieu adresse au croyant concerne sa vie tout entière dans toutes ses dimensions. La laïcité ne saurait donc mettre les chrétiens « en congé de l’histoire », ni exiler les Églises hors de l’espace public. Si elle protège la société de toute forme d’hégémonie cléricale sur la société, elle ne condamne pas les Églises au silence. Leur parole est légitime et même souvent attendue, plus qu’on ne le croit parfois, dans un contexte social où la question des finalités et du sens s’exprime avec force.
Dans une société où le religieux n’a jamais été aussi présent sur la scène publique, française et internationale, où la laïcité est plus que jamais « à géométrie variable », où elle est critiquée, détournée, instrumentalisée à des fins contraires, il importe de la défendre, de la renouveler et de la faire évoluer vers ce que Régis Debray appelle une laïcité « de compréhension et d’intelligence », permettant à toutes les convictions, y compris spirituelles et théologiques, de trouver place dans l’espace public.
2.3 La notion d’espace public
Cette notion d’« espace public », conceptualisée par Jürgen Habermas dans les années 70 [6], me semble particulièrement féconde pour renouveler la compréhension de la laïcité, la manière dont les Églises peuvent y trouver leur place et l’organisation même de la vie démocratique. La participation active du plus grand nombre à l’espace public peut en effet contribuer à enrichir la démocratie représentative de délégation par une démocratie de la délibération. Habermas définit l’espace public comme la sphère intermédiaire qui s’est peu à peu constituée entre la société civile des individus et l’État, offrant un espace dans lequel une opinion publique est susceptible de s’élaborer et de se constituer comme un pôle critique face à la domination étatique. C’est en somme la place publique d’antan où des positions personnelles peuvent se dire publiquement, un lieu accessible à tous, où peut s’instaurer un débat libre et contradictoire, où s’expriment et discutent des convictions diverses.
Mais cet espace public n’est pas seulement celui de la confrontation, il est également celui où, par-delà les points de vue particuliers, une société élabore ses références communes. Il constitue, pour les citoyens, une possibilité de résister aux choix de l’État ou de les orienter. Ce ne sont pas seulement des individus (les citoyens, les différents acteurs politiques, sociaux, religieux, culturels, intellectuels), qui ont à faire entendre leur voix dans le débat public de la société démocratique. Ce sont également ce que Dominique Wolton appelle les « communautés partielles », les Églises en font partie, qui ont à rendre compte, chacune pour leur part, de leur « système de valeurs et de références » [7].
En ce qui concerne les Églises, je considère qu’elles ont la responsabilité particulière de maintenir ouverte, au sein de la culture, la question de Dieu, rappeler sans cesse la dimension spirituelle de l’humain et dialoguer avec toutes les autres formes de transcendance, qu’elles soient religieuses ou laïques, afin qu’aucune ne puisse s’absolutiser. L’expression publique des Églises et religions est donc non seulement possible dans une société laïque, mais légitime et nécessaire. À condition toutefois qu’elles n’interviennent pas tout le temps, ni qu’elles se constituent en lobby ou en groupe de pression permanent, que leur parole ne se prétende pas hégémonique, ni ne conteste la légitimité et l’ordre républicains.
Dans cette parole publique, il ne s’agit jamais d’imposer, mais de proposer et mieux encore d’exposer ses convictions au double sens du verbe exposer. C’est-à-dire de les présenter, mais aussi de les risquer dans la rencontre avec les convictions d’autrui. Il n’est, en effet, de chance de témoigner, d’annoncer, de transmettre, que dans un rapport de réciprocité. Nul ne peut communiquer s’il n’est lui-même à l’écoute d’autrui, s’il renonce, par avance, à toute volonté de domination. « Si vraiment les religions doivent survivre, écrit Paul Ricœur, il leur faudra renoncer à toute espèce de pouvoir autre que celui d’une parole désarmée et faire prévaloir la compassion sur la raideur doctrinale… » [8]
3. Le défi d’une communication problématique
3.1 Relever le défi des logiques médiatiques
C’est un défi commun à toutes les Églises et religions. Il consiste à faire un usage critique des moyens modernes de communication en résistant aux logiques et dérives médiatiques. L’audimat souverain qui conduit à privilégier le sensationnel, quitte à choisir dans les paroles des Églises celles qui sont le plus à même de susciter des réactions émotionnelles voire passionnelles. Le simplisme réducteur qui ignore la complexité du réel, les nuances, la pluralité et ne rend souvent compte du message des Églises qu’en termes réducteurs d’opposition ou d’alignement. La griserie du direct et de l’instantanéité qui réclame des responsables des Églises des interventions « à chaud », dans l’urgence, ne laissant guère de temps, ni de recul, pour l’information et la réflexion nécessaires. A quoi on peut ajouter le contexte d’une société déchristianisée et sécularisée qui a perdu sa mémoire biblique et religieuse ; les journalistes se caractérisant généralement par une rare inculture en la matière ! On ne saurait pour autant disqualifier la communication et les moyens indispensables que l’être humain se donne pour « transporter » ce qu’il a à dire. Ce qui implique de se former à l’usage des médias, d’adapter ces moyens aux modes de fonctionnement et convictions spécifiques du protestantisme. Les Églises protestantes devront être particulièrement attentives à la « révolution numérique » qui met à disposition de nouveaux dispositifs (forum, réseaux sociaux…) plus interactifs et donc plus en phase avec les exigences délibératives du protestantisme.
3.2 La communication problématique des Églises protestantes
Mais je voudrais aussi envisager la difficulté spécifique des Églises protestantes avec le monde de la communication. En effet, malgré de réels efforts au cours des dernières décennies, elles font preuve d’une discrétion et d’un effacement qui les rend trop souvent inaudibles et invisibles dans l’espace public. Il y a quelques années une étude de l’IFOP renvoyait cette image des protestants français et de leur communication : « on les aime bien, mais existent-ils ? Lorsqu’on y prend garde, ce qu’ils disent et font est souvent intéressant, mais se distingue mal, d’autant qu’ils ne savent pas communiquer et semblent parfois ne pas le vouloir. On les dit intelligents, rigoureux et plutôt honnêtes, mais froids et secrets, et tellement divers et dispersés. Ils sont presque invisibles. » [9] Il y a plusieurs raisons à cette difficulté communicationnelle.
D’abord des motifs d’ordre historique, sociologique et culturel. À commencer par la faiblesse numérique et la pudeur légendaire des protestants français. Parce qu’ils gardent le souvenir douloureux de l’intolérance qui brime les consciences, ils ont tendance à penser que toute affirmation d’une conviction risque de porter atteinte à la liberté d’autrui. Sans doute est-il également difficile d’être une Église de la Parole dans une civilisation de l’image. Il est aussi une raison, en apparence paradoxale, qui handicape la communication des protestants dans l’espace public, c’est ce que Jean Baubérot appelle leur intégration réussie dans la société française. [10] Par la laïcité, dit-il, le protestant français est un citoyen à part entière et, par l’œcuménisme, il est perçu désormais comme un chrétien à part entière. Du coup le protestantisme, généralement en phase avec les valeurs de libérales de la modernité, ne ferait plus entendre sa différence. Or des sociologues ont montré que pour qu’une minorité soit active, elle doit avoir des convictions fortes et oser les exprimer parfois en décalage avec la pensée dominante. Ce qui devrait inciter le protestantisme à être plus clair dans l’affirmation de ses convictions, trouver les mots adaptés pour les dire et oser parfois se positionner en écart par rapport aux idéologies du moment.
Je considère toutefois que la principale raison à la difficulté de communication des Églises protestantes dans l’espace public réside dans leur conception spécifique de l’Église, qui constitue, on le sait, la différence fondamentale qui demeure avec le catholicisme. La distinction des Réformateurs entre l’Église visible et l’Église invisible que Dieu seul connaît, amène parfois les protestants à avoir peu de considération pour les formes visibles et concrètes de la communauté, contrairement d’ailleurs à l’enseignement des Réformateurs. À force de dire que l’Église institution est seconde, elle en devient secondaire. Ce qui nuit à son témoignage. Compte tenu de cette compréhension de l’Église, il est toujours problématique pour les « autorités » ecclésiales protestantes de s’exprimer légitimement au nom de ce peuple dont le recensement appartient à Dieu seul et, finalement, de s’arroger le droit d’affirmer « L’Église pense que… » ou « L’Église dit que… ». Cela va de pair avec une réticence du peuple protestant à déléguer à ses responsables une autorité légitime pour parler en son nom, entraînant un « déficit magistériel » peu favorable en termes d’expression publique. Ce déficit représentatif qui affecte le protestantisme est peut-être un fruit pervers de son souci de collégialité et de sa conception d’une autorité partagée au sein de l’Église. Le protestantisme n’est souvent pas entendu car on pense à tort que personne n’a autorité pour parler en son nom. [11]
A quoi s’ajoute le fait que l’organisation concrète des Églises protestantes n’est pas adaptée à une communication rapide vers l’extérieur, du fait notamment des logiques réductrices et simplificatrices des médias que j’ai évoquées. Leur vie institutionnelle est en effet basée sur la concertation communautaire, la pratique du débat à l’écoute des Ecritures bibliques en vue de l’élaboration d’un consensus de foi nuancé et provisoire. Ce qui implique de prendre le temps de l’information, de la réflexion, de la délibération. Or, ce qu’attendent les médias modernes ce sont des messages clairs, simples, pour ne pas dire simplistes, exprimés généralement dans l’urgence par une autorité facilement repérable. Toutes choses que les Églises protestantes ne peuvent leur offrir, attachées qu’elles sont à un fonctionnement de type démocratique où les lieux d’autorité sont peu identifiables et aux points de vue pluriels qui respectent les différences. Autant de réalités contre-productives en termes de visibilité sociale, surtout dans une période d’incertitude où les gens attendent plutôt des réponses univoques. [12]
4. Les diverses tonalités de ces paroles
Je veux encore m’interroger sur la nature de ces paroles publiques des Églises dont je souligne quatre tonalités.
4.1 La tonalité culturelle
Elle a notamment pour visée de rendre à la société sa mémoire biblique. En effet, la Bible est une des composantes essentielles de notre culture, un réservoir de récits, de figures, de symboles qui a alimenté pendant des siècles la créativité culturelle de l’Occident et inspiré des pans entiers de notre patrimoine. Aujourd’hui, elle est de plus en plus, pour nos contemporains, un texte inconnu. Or, comment percevoir ce qu’expriment les vitraux de la Sainte-Chapelle, les cantates de Bach, les toiles de Rembrandt, la peinture de Chagall…, sans la connaissance des références bibliques qui les nourrissent ? Faire découvrir la Bible, la faire lire au plus grand nombre constitue donc une responsabilité essentielle et particulière des chrétiens dans une société qui a perdu sa mémoire religieuse et notamment biblique. Il est urgent de pallier cette ignorance, faute de quoi la culture devient indéchiffrable et incompréhensible. C’est cette préoccupation qui était au centre du rapport de Régis Debray sur l’enseignement du « fait religieux » dans le cadre de l’école laïque. [13]
Mais cette tâche culturelle implique aussi, plus largement, de témoigner de l’Évangile dans le dialogue avec la culture, la science, la pensée, les savoirs contemporains et toutes les formes de la modernité, en acceptant le défi de l’interpellation réciproque. Ce qui renouvellera l’intelligence de la foi et amènera les Églises à revisiter leurs propres convictions.
Il faut aussi souligner, dans ce registre culturel, l’importance des dialogues interreligieux et de l’engagement commun de toutes les religions dans le champ social. Non en vue de quelque syncrétisme improbable, mais simplement pour contribuer à construire une société pluraliste prenant en compte à la fois le respect des différences et la visée commune. C’est là que peuvent se déconstruire les peurs et les haines qui s’enracinent souvent dans l’ignorance de l’autre. Il leur appartient notamment de puiser dans leurs propres traditions les ressources dont elles sont porteuses pour lutter contre toutes les formes d’intolérance, de fanatisme, de violence, d’exclusion.
4.2 La tonalité diaconale
La parole dont l’Église est porteuse est une parole qui s’incarne concrètement dans l’histoire. Il ne s’agit plus seulement ici de parler mais d’agir dans l’espace public. Cette cohérence entre le dire et le faire est ressentie comme gage de crédibilité. On connaît le reproche, tant de fois entendu à propos des croyants, « ils disent et ne font pas ». Cela concerne tous ces lieux, diaconaux, caritatifs, humanitaires, où les chrétiens et les Églises vivent l’entraide, la solidarité et l’accueil pour faire face, souvent dans l’urgence, de manière provisoire, aux nouvelles formes de pauvreté, d’injustice, de marginalisation, d’exclusion, pour récréer du lien, du sens, de la solidarité au cœur de la cité, notamment auprès des plus fragilisés. D’autant que derrière les sollicitations matérielles se cachent aussi souvent des blessures psychiques, des besoins affectifs, des attentes de reconnaissance, où chacun réclame d’être accueilli tel qu’il est, et non comme on voudrait qu’il soit. Notamment face à la montée des peurs qui font le lit des extrémismes racistes et xénophobes, nos Églises peuvent offrir des lieux où nouer des relations de proximité, où les questions et les inquiétudes de chacun peuvent être nommées et portées devant Dieu, où se propose ce que l’on a appelé une « diaconie du sens ».
4.3 La tonalité éthique
La parole des autorités de l’Église dans l’espace public est souvent de nature éthique parce que c’est le plus immédiatement accessible et compréhensible et c’est généralement sur ce plan que les Églises sont sollicitées par les médias et même parfois des autorités politiques. On attend qu’elles disent ce qu’elles pensent de telle ou telle question, de tel ou tel projet de loi : est-ce bien ou mal, interdit ou autorisé, êtes-vous pour ou contre ? Il est important que les Églises ne se dérobent pas à ces interrogations. Il est même nécessaire qu’elles prennent part, dans le cadre d’une laïcité ouverte, à cette responsabilité éthique à partir de leurs convictions spécifiques en vue d’élaborer les compromis qui permettent à une société de « vivre ensemble ».
Elles ne peuvent toutefois s’en tenir au seul champ de la morale sociétale ou s’y précipiter. Elles doivent même parfois savoir résister aux sollicitations de cet ordre, afin de ne pas s’ériger en un magistère moral ou tomber dans la posture du donneur de leçons. Alors même qu’elles affirment (en tout cas les Églises protestantes), qu’en ce domaine, chaque croyant se détermine en conscience, de manière libre et responsable, à l’écoute de la Parole de Dieu. Les Églises devraient, chaque fois que cela est possible, se situer en amont de l’éthique, du côté du fondement évangélique et théologique qui la porte. Je pense par exemple aux demandes dans le champ de la bioéthique pour tenter de baliser le chemin au cœur d’attentes contradictoires. Devant la complexité des questions posées et le poids de souffrance dont elles sont souvent lestées, les Églises ne sauraient se contenter d’entrer dans une logique du permis et du défendu. Alors que ce qui est ici en jeu c’est leur conception de l’humain et la compréhension de son existence à la lumière de l’Évangile. Il ne s’agit pas de livrer des réponses morales toutes faites, mais plutôt chercher à indiquer les enjeux anthropologiques, tâche autrement plus ardue que de prescrire une morale.
4.4 La tonalité spirituelle
Mais finalement les Églises ont d’abord et fondamentalement à rendre compte de ce qui leur est propre, ce que personne ne peut apporter à leur place : leur foi, leur spiritualité, leur relation à une révélation, à une transcendance, les rapports que chaque croyant entretient avec Dieu dans son intériorité, l’expression d’une piété personnelle et communautaire. Pour les chrétiens il s’agit de rendre compte de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ. Cette annonce de l’Évangile constitue ultimement la tâche fondamentale des Églises. Un texte œcuménique sur la laïcité l’affirme : « La prédication de la Bonne Nouvelle reste l’apport particulier des Églises à la société contemporaine, leur tâche spécifique, que personne ne peut accomplir à leur place. » [14] Elle devrait donc être l’horizon de toute parole des Églises dans l’espace public. Leurs déclarations publiques, par-delà la diversité de leurs modalités (culturelle, pédagogique, diaconale, éthique, théologique…), devraient toujours garder comme visée celle de la prédication : annoncer l’Évangile et désigner le Christ, ouvrir un chemin pour la rencontre avec lui, au-delà même de ce que l’on pense pouvoir maîtriser.
Conclusion
Une telle annonce, et je termine là-dessus, requiert conviction et tolérance. [15] Contrairement à quelques idées reçues, conviction et tolérance ne s’excluent pas, mais elles constituent les deux conditions du témoignage chrétien.
En effet, la conviction n’est pas forcément l’expression d’une position dominatrice sur le plan spirituel, moral ou intellectuel. Mais elle est un engagement de toute la personne envers une vérité qu’on ne cesse de chercher, d’interroger et, dans la foi, de recevoir comme un don. Quant à la tolérance, elle n’est pas l’indifférence, cette forme de « tolérance usée » qui tolère l’intolérable. La véritable tolérance est une forme de respect d’autrui et d’intérêt pour autrui, et elle ne peut se vivre précisément qu’entre des hommes et des femmes de conviction et de courage.
Ainsi comprises, conviction et tolérance, sont bien les deux conditions indispensables pour que les Eglises protestantes puissent témoigner publiquement de l’Évangile, de manière audible et crédible, au cœur des défis de ce temps qui sont peut-être avant tout des défis spirituels.
Michel Bertrand
[1] Dietrich Bonhoeffer, Résistance et Soumission, Lettre du 3 juillet 1944, Genève, Labor et Fides, 1967 p. 177.
[2] Pour l’illustrer, on peut renvoyer à deux textes du livre des Actes en 16, 16-39 et 18, 21 à 19, 40 où la prédication de l’Évangile par Paul, et alors que ce n’est absolument pas sa visée première, va menacer l’équilibre social et économique du lieu de sa proclamation. Le succès de sa mission, strictement « spirituelle » dans son contenu et ses objectifs, a des effets sociaux et économiques concrets, entraînant des affrontements et même l’intervention des autorités civiles.
[3] Martin Luther, De l’autorité temporelle et des limites de l’obéissance qu’on lui doit, (1523), Œuvres, t. IV, Genève, Labor et Fides, 1958, p. 13-50.
[4] Jean Calvin, Institution de la Religion Chrétienne, IV, XX, 1, Genève, Labor et Fides, 1957, p. 447s.
[5] Comité mixte catholique-protestant, Églises et laïcité en France, Études et propositions, Paris, Le Centurion/Le Cerf, 1998p.17.
[6] Jürgen Habermas, L’espace public, Paris, Payot, 1993, (1962, Marc-B. de Launay, trad.).
Jürgen Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, Paris, Fayard, 1987, (1981, Jean-Marc Ferry, vol. 1, et Jean-Louis Schlegel, vol. 2, trad.).
Jürgen Habermas, Morale et communication. Conscience morale et activité communicationnelle, Paris, Le Cerf, 1986, (1983, Christian Bouchindhomme, trad.).
[7] Dominique Wolton, Penser la communication, Paris, Flammarion, 1997, p. 171-172.
[8] Paul Ricœur, cité par Jean Daniel, Dieu est-il fanatique ? Paris, Arléa, 1996, p.9.
[9] Paul Keller, « Exister publiquement », Etudes Théologiques et Religieuses, 1990/4, p.519-520.
[10] Jean Baubérot, Le protestantisme doit-il mourir ? Paris, Le Seuil, 1988.
[11] « Les protestants restent très attachés à la délégation, que « la base » cherche toujours à contrôler, et très méfiants à l’égard de la représentation, qui implique une action vers « le haut », dépassant les limites de la communauté locale. Nous souffrons d’un idéal pervers d’égalitarisme. […] Le protestantisme n’arrive pas à prendre une décision qui l’engage en tant que corps universel. C’est le caractère non contraignant de nos décisions qui est préoccupant. Nos autorités peuvent-elles être véritablement nos porte-parole, et, corrélativement, sont-elles habilitées à imposer des décisions communes ? »
Henry Mottu, « Force et faiblesse de l’ecclésiologie réformée aujourd’hui », Bulletin du Centre Protestant d’Etudes, Genève, octobre 1994, 46e année, n°6, pp.33-34.
[12] On voit ici en quoi, dans sa communication publique, le protestantisme peut être handicapé par rapport au catholicisme. Pour celui-ci, en effet, le lieu de l’autorité est nettement identifié et identifiable sur le plan institutionnel, d’autant qu’il s’agit généralement de personnes facilement repérables (le pape, l’évêque…), habilitées à dire la position de l’Église. Un tel mode d’expression du magistère se prête à une utilisation optimale des moyens modernes de communication. L’institution ecclésiale offrant, à travers son message officiel et sa hiérarchie, une image claire d’elle-même a, en conséquence, une bonne visibilité dans l’espace public. Même si ce fonctionnement peut être aussi contesté au sein de l’Église catholique romaine par les fidèles. Ainsi on pouvait lire récemment « L’opportunité de ces prises de parole est débattue au sein même du monde catholique. Selon un sondage IFOP réalisé les 6 et 7 mars 2008 auprès de 959 personnes, et publié dans La Croix, 65% des catholiques pratiquants estiment que « les autorités religieuses ne devraient pas prendre position publiquement sur les grands enjeux de société ». » Le Monde, 3 avril 2008, p.12.
[13] Régis Debray, L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque. Rapport au Ministre de l’Education Nationale, Paris, Editions Odile Jacob, 2002.
[14] Comité mixte catholique-protestant, Églises et laïcité en France, Etudes et propositions, p. 45.
[15] « Là où par une loi humaine on prétend imposer aux âmes de croire telle ou telle chose au gré de la volonté humaine, la Parole de Dieu n’est assurément pas présente (…) écrit Luther, Chacun court son propre risque en choisissant sa manière de croire et chacun doit veiller lui-même à ce que sa foi soit correcte (…) car la foi est une œuvre libre et on ne peut y forcer personne. » Martin Luther, De l’autorité temporelle et des limites de l’obéissance qu’on lui doit (1523), Œuvres, tome IV, Genève, Labor et Fides, 1958, p.31.