Compte-rendu de la conférence par Marie-Christine Michau
Le rabbin de Mulhouse, Elie Hayoun, a su nous expliquer la conception juive du travail et de son arrêt avec des interpellations souvent amusantes.
Le travail est-il l’objet d’un commandement ou celui d’un interdit ? Cela dépend du texte biblique auquel on se réfère. On peut lire dans l’Exode (34,21) : » Pendant 6 jours tu travailleras, mais le 7ème tu feras Shabbat « . La nécessité du travail est donc clairement exprimée. Mais dans un autre passage de l’Exode (20,10), c’est l’interdiction du travail le 7° jour qui est mise en valeur : » Le septième jour, c’est un Shabbat pour le SEIGNEUR, ton Dieu : tu ne feras aucun travail « . Et le rabbin Hayoun nous a fait réfléchir sur les notions de travail et de cessation du travail.
Le travail ? Dans la Bible, il a une image beaucoup moins négative que chez les Grecs ou les Romains. Ce ne saurait être un châtiment divin. C’est, au contraire, une façon pour l’humain d’être associé à l’œuvre du Créateur. La conception du travail, négative au Moyen Age, est devenue plus positive à la Renaissance et, sous l’influence de Luther, a évolué vers la notion de vocation (Beruf). Les Lumières ont mis en valeur l’idée d’accomplissement, Jefferson a fait une apologie de l’effort et le XIXème siècle y a vu une expression possible de l’intelligence humaine. D’après Genèse 2, avant la création de l’homme, il n’y a « aucun arbuste, aucun arbre de la campagne ». Alors Dieu façonne l’homme, plante un jardin en Eden et y met l’humain « pour le cultiver et pour le garder ». Partenaire de Dieu dans la création, l’humain a pour mission de réaliser le monde voulu par Dieu. Tout ce qui a été créé en six jours a vocation à être amélioré. Dieu apporte les ingrédients (par exemple le blé) et l’humain les fait vivre (culture et fabrication du pain). En découle cette formulation positive (Ex 35,2) : « Vous ferez votre ouvrage pendant six jours ».
Le Shabbat ? C’est une obligation caractéristique du judaïsme. Comme Dieu le septième jour lors de la création, l’humain doit s’arrêter de travailler, renoncer à son pouvoir de transformer le monde. Certaines activités sont alors interdites (bâtir, cuire, tailler, acheter, écrire, allumer l’électricité…), parce qu’elles découlent des travaux principaux intervenant dans la construction du Temple, elle-même symbole de la création du monde par Dieu. Mais l’essence du Shabbat est de laisser de côté les tâches de la semaine pour faire place à Dieu en ce jour où il a achevé le monde en faisant place à l’humain. C’est l’occasion de se réjouir en famille, de vider son esprit des soucis et des devoirs matériels de la semaine pour se plonger dans l’étude de la Torah et accueillir le bien-être du Shabbat. Georges Friedmann, sociologue du travail, voit « une sorte de génie prophétique dans l’institution du Shabbat » qu’il juge indispensable pour lutter contre la déshumanisation de la civilisation technicienne d’aujourd’hui. Et cette obligation a imposé aux juifs de trouver des solutions techniques pour résoudre les problèmes pratiques posés par les différentes abstentions : par exemple, l’ « ascenseur shabbatique » s’arrête à tous les étages sans qu’on manipule un interrupteur.
Le Shabbat est placé à la fois sous le signe du souvenir de la création du monde et de celui de la libération de l’esclavage vécu en Egypte. C’est un appel aux plus hautes exigences de dignité humaine et d’égalité sociale. Il y a là une vision d’harmonie entre les humains par le refus de toutes les aliénations et de tous les déterminismes économiques, sociaux et politiques. S’y ajoute le respect absolu de la vie : comme le précisent les textes rabbiniques, « le Shabbat a été donné aux hommes, et non pas les hommes au Shabbat » (Mekhilta, 31,13). Rien de plus important, selon la Torah, que de préserver la vie humaine. S’il existe le moindre danger qu’une vie humaine puisse se trouver en jeu, on doit transgresser les interdictions prescrites par les lois du Shabbat.
C’est en travaillant pendant six jours que l’humain est partenaire du Créateur. C’est en s’abstenant de créer, un jour sur sept, qu’il affirme sa liberté face à la nature, au pouvoir et aux choses, en même temps qu’il affirme sa fraternité face aux autres hommes.